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Les avantages psychologiques d’une conception qualitative

16 février 2023


À l'intérieur de l'école Montessori de Toronto © Farrow Partners

 

 

L’architecture exerce souvent une influence là où on ne s’y attend pas directement. L’architecte Tye Farrow, un expert de premier plan en croisement des neurosciences et de l’environnement bâti, ne le sait que trop bien. À travers son projet dans une école Montessori à Toronto, il nous montre et démontre de façon convaincante comment notre environnement peut nous façonner positivement, tant physiquement que mentalement.

 

Avant d’expliquer au moyen de son projet ce qu’il entend précisément par-là, Tye Farrow attire l’attention sur un scandale qui a éclaté aux États-Unis en octobre 2021. Un architecte consultant de l’Université de Californie à Santa Barbara était alors monté au créneau pour protester contre un projet de résidence estudiantine de 11 étages, comparée à une prison. Les plans, financés par le milliardaire Charles Munger, prévoyaient des rangées de petites chambres sans fenêtres, entièrement dépendantes de la lumière artificielle et de la ventilation mécanique. L’architecte a qualifié cette proposition ‘d'expérience sociale destructrice’ et de ‘lieu insoutenable en tant qu’architecte, parent et être humain’.

 

 


Le plan du Munger Hall, une résidence estudiantine de 11 étages pour l’Université de Californie destinée à héberger 4.500 étudiants dans des chambres sans fenêtres © USBS

 

 

Tye Farrow trouve décourageant de constater que, malgré les nombreuses dynamiques au niveau du bien-être, on puisse encore construire des mégaprojets comme celui-ci et que les leçons du COVID ont déjà été oubliées. Des études approfondies ont entre-temps montré que même des équipements modestes, comme un balcon ou une fenêtre donnant sur un jardin, peuvent entraîner des bienfaits mesurables au niveau mental et physique. Comme notamment la réduction du stress et de l’ennui, dont on sait qu’ils peuvent conduire à la dépression et à la maladie.

 

À Toronto, il a choisi, pour un bâtiment récemment achevé sur le campus, de faire exactement le contraire de cette résidence estudiantine californienne sans fenêtres. Son échelle, sa forme et sa matérialité sont basées sur l’amplification de l’impact neurologique et psychologique sur les étudiants et enseignants qui l’utilisent. L’aménagement bien éclairé et spacieux, conçu par le département de Farrow Partners à Toronto, vise à la fois la santé physique, la stimulation cognitive et le bonheur mental.

 

Ce projet est situé à Richmond Hill, juste au nord de la Highway 407. Ici, le bâtiment existant de l’école Montessori de Toronto a été agrandi avec un volume apaisant en U qui forme une entrée comparable à une étreinte. À l’intérieur, diverses installations se déploient dans les deux sens à partir d’un atrium central, avec des toilettes, un bureau de direction, des vestiaires et des bureaux pour le service administratif.

 

 


"Lorsque vous intégrez une courbe, vous stimulez la curiosité pour savoir ce qu’il y a après", affirme Tye Farrow © Farrow Partners

 

 

Le plafond incliné soutenu par une série d’arcs en demi-cercle visibles constitue l’une des caractéristiques les plus frappantes. La ligne de toit court sur deux étages sous un angle ‘dramatique’, jusqu’à un mur de verre incurvé avec une rangée de grandes formes triangulaires ressemblant à des voiles, qui donnent sur une cour intérieure et une forêt de bouleaux.

 

La plupart des architectes connaissent les avantages que la nature peut apporter à un projet, qu’il s’agisse de lumière non-filtrée, d’air frais ou de matériaux bruts apparents comme le bois ou la pierre. Ce projet présente ces caractéristiques, mais va au-delà de ce que l’on décrit souvent par le terme de biophilie: une conception qui intègre la nature dans l’environnement bâti. Au lieu de cela, l’architecte Tye Farrow, titulaire d’une maîtrise en neurosciences, s’intéresse à la manière dont l’espace peut influencer notre humeur et accroître notre sentiment de confiance, notre joie, notre imagination et notre optimisme.

 

Ambiguïté positive

Pour se démarquer des conceptions qui augmentent les capacités mentales grâce à la dynamique spatiale et à la reconnaissance de motifs complexes, il a inventé la notion ‘d’ambiguïté positive’ . Dans le cas de la nouvelle extension, différents éléments rompent avec la trame habituelle. Les barres structurelles multi-nœuds apparentes créent, par exemple, une combinaison inattendue de formes arrondies et de triangles pouvant paraître chaotiques au début, mais dans lesquels les yeux commencent ensuite à reconnaître des motifs récurrents. Le plan en forme de demi-lune entraîne également une rupture visuelle avec un couloir droit typique. "Nos esprits aiment les différences", déclare Tye Farrow. "Nos yeux et notre cerveau sont programmés pour rechercher la prévisibilité, et nous nous sentons facilement attirés par les lignes droites et les angles droits. Lorsque vous intégrez une courbe, vous stimulez la curiosité pour savoir ce qu’il y a après."

 

 


Le bâtiment permet une conscientisation durable des rythmes saisonniers et des conditions climatiques © Farrow Partners

 

 

La lumière joue elle aussi un rôle crucial. Tye Farrow décrit la nouvelle aile comme ‘très, très sensible à l’humeur’. À certains moments de la journée, les charpentes projettent des ombres profondes qui font l’effet de branches d’arbres. La lumière naturelle venant de différents côtés crée une prise de conscience des rythmes saisonniers et des conditions climatiques. "Notre esprit est stimulé par nos comparaisons et nos contrastes, c’est pourquoi les élèves et les enseignants lisent perpétuellement l’espace et utilisent leurs sens dans les circonstances constamment changeantes, à tel point même qu’ils ont l’impression que l’espace vit", poursuit-il

 

‘Cause health’

L’ambiguïté positive n’est qu’un volet du champ d’étude plus vaste dans lequel Tye Farrow est un expert mondialement reconnu. Par la notion de ‘cause health’ (littéralement ‘qui provoque la santé’ ou salutogène pour reprendre le terme médical), lui et son cabinet examinent comment l’environnement bâti peut impliquer et enrichir la société en abordant la conception sous différents angles. Les bâtiments peuvent-ils, par exemple, être généreux? Mieux encore: qu’est-ce qui rend une rue, un village ou une ville authentique et comment ceux-ci dégagent-ils à leur tour un sentiment de confiance, de résilience et d’importance?

 

Si cela fait un peu penser à des personnes plutôt qu’à des bâtiments, c’est alors à bien des égards ce qu’on entend par la notion de ‘cause health’. Vous réfléchissez à l’architecture et regardez au-delà de ses services fonctionnels. Vous pensez dans le sens de son potentiel pour nous la faire ressentir vitale et connectée, davantage comme des amis et de la famille que comme des objets sans vie.

 

Pour Tye Farrow, ‘cause health’ constitue le test ultime d’une conception qualitative. Mais nous n’en sommes pas encore là. "Pour l’instant, l’architecture s’intéresse à la santé écologique, ce qui ne suffit pas", ajoute-t-il.

 

L’industrie vise à améliorer l’efficacité des bâtiments avec des solutions comme les panneaux solaires et la construction en bois, ce à quoi il veut ajouter: "n’oubliez pas que nous sommes des êtres indissociablement liés à notre environnement. Nous devrions nous pencher sur tous les aspects de la santé, y compris le bien-être social, physique et mental."

 

Ceci est une traduction par Jan Hoffman d’un article écrit par Catherine Osborne

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