L’œuvre de l’architecte Carme Pinós, dont la carrière est longue et fructueuse, traduit une réflexion profonde sur l’objet architectural et son environnement.
L’architecte Carme Pinós a fondé son propre cabinet d’architecte en 1991. ©Antonio Navarro
À propos du studio qu’elle dirige, Carme Pinós dit : « Nous comprenons l’architecture comme un art vivant qui est en mesure de prendre racine et de se nourrir du sol qui nous entoure. Nous la comprenons comme un catalyseur pour des relations, comme un lieu de confluence et de rencontre. »
Lorsque Carme Pinós a remporté en 2021 le Prix national d’architecture et ainsi la plus haute récompense du métier en Espagne, le jury a souligné, en plus de la constance et de l’excellence de sa carrière, également la responsabilité sociale et la durabilité de ses projets ainsi que son activité transfrontalière qui encourage le dialogue entre l’architecture et d’autres disciplines.
Escola Massana. Art and Design Centre, Barcelone (2008-2017), partie du réaménagement de la Plaça de la Gardunya dans la vielle-ville de Barcelone. ©Duccio Malagamba
Carme Pinós est née en 1954 à Barcelone et a achevé ses études d’architecture et d’urbanisme à l‘Escuela Técnica Superior de Arquitectura de Barcelone dans une année dans laquelle quatre femmes seulement étaient présentes pour 200 hommes. Pour comparaison, les femmes sont aujourd’hui représentées majoritairement dans les classes d’architecture. Bien que ses travaux aient été remarqués très tôt, l’immeuble de bureaux Cube I à Guadalajara, au Mexique (2002-2005), dont la maquette a été acquise en 2006 par le MoMA à New York pour sa collection d’architecture permanente, ou encore le bâtiment administratif sur le campus WU à Vienne comptent parmi les projets qui lui ont apporté la plus grande renommée internationale. Depuis 2010, le Centre Pompidou à Paris possède également plusieurs maquettes de ses ouvrages.
Carme Pinós a réalisé de nombreux projets dans les différents domaines de l’architecture, de l’architecture paysagère et de l’urbanisme. Les énumérer tous serait une tâche immense et je vais me concentrer sur un certain projet à Barcelone. C’est en effet la ville dans laquelle l’architecte est née et dans laquelle elle a son cabinet, mais aussi parce que j’ai déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de le visiter. Le projet en question est un complexe qui comprend l’aménagement de la Plaça de la Gardunya avec le nouveau siège de la Massana School of Art and Design, un nouveau bloc résidentiel et la nouvelle façade arrière du marché iconique de la Boqueria sur les Ramblas, dans le centre historique de Barcelone.
École Massana. le grand atrium central, traversé par un escalier sculptural, sert de passage urbain. ©Duccio Malagamba
La Plaça de la Gardunya, qui était un parking pendant un demi-siècle, est devenue, après sa réaffectation, une place publique dont les résidents de la ville peuvent profiter. Sa particularité est que la place montre aussi le négatif des constructions conçues par Carme Pinós. Il s’agit d’un projet qui repose sur une recherche minutieuse des traces du lieu intégré dans l’intensité vitale du quartier Raval. Les bâtiments évitent la frontalité apparente et adhèrent au flux des personnes, sachant qu’ils mettent en relief leur propre personnalité : l’école représentative et abstraite, les appartements à une échelle familiale, les façades qui, dans leur nouvel ordre dans le quartier résidentiel, se penchent vers le marché et créent ainsi une nouvelle connexion avec l’histoire du lieu. Dans tous les cas, des espaces reliés entre eux sont créés en lien avec leur environnement.
Hotel Son Brull, Majorque (2016-2019). Le projet vise à s’intégrer dans le paysage, à créer une symbiose entre les constructions et la nature. ©Ruben Besco
Un aspect moins connu du travail de Carme Pinós est son travail de conceptrice de produit qu’elle a débuté il y a une décennie. La collection « Objects », produite par son propre atelier, inclut des récipients et des éléments multifonction dans lesquels la tôle d’acier pliée et le bois font apparaître une esthétique expressive, et ce avec une philosophie qui vise à satisfaire à des besoins avec une utilisation minimale de moyens et de matériaux.
En Espagne, il est courant pour de nombreuses architectes de partager un atelier avec leur conjoint. Pour sa part, Carme Pinós exploite depuis 1991 son propre atelier dont le prestige est marqué par son nom et son prénom. A ses débuts, elle a cependant travaillé avec l’architecte de renom Enric Miralles avec qui elle était étroitement liée, aussi bien au niveau professionnel que personnel, et ils ont conçu ensemble le cimetière d’Igualada (1985-1991) – une œuvre de jeunesse innovante qui leur a apporté une grande reconnaissance internationale. Dans cette ville située à 70 km de Barcelone, ils ont amorcé un tournant qui a défini de nouvelles références pour l’aménagement des cimetières et des lieux de commémoration des morts, tournant réalisé par une rupture singulière dans la terre sous la forme d’un chemin en Z sur différents niveaux et par un pavage constitué de tapis de feuilles mortes qui se déposent au fil du temps.
MPavilion (2018), Melbourne, conçu par Carme Pinós. ©John Gollings
Au cours de sa carrière, Carme Pinós a reçu de nombreuses récompenses, notamment le prix ARVHA en 2017 (prix international français d’architecture), la médaille Richard J. Neutra de l’université polytechnique de Californie et le prix Berkeley-Rupp en 2016 pour sa contribution à la promotion des femmes dans l’architecture ainsi que pour son engagement social. Elle a en outre reçu en 2015 le prix Creu de Sant Jordi du gouvernement catalan pour sa contribution à la culture et à la défense des valeurs citoyennes. La dernière récompense qu’elle a reçue est l’Arnold W. Brunner Memorial Award 2022, premier prix de l’American Academy of Arts and Letters. Elle enseigne par ailleurs à différentes universités à travers le monde.
Cet article est une traduction éditée d'un texte rédigé par Marta Rodríguez Bosch